Mise en réseau des bibliothèques du nouveau Centre Pénitentiaire de Nancy-Maxéville (54)

L’ancienne prison Charles III située en plein cœur de la ville de Nancy a fermé définitivement ses portes en juin 2009. Elle a été remplacée par une nouvelle structure à l’écart du centre ville située sur les deux communes de Nancy et de Maxéville. Ce nouveau centre pénitentiaire peut accueillir jusqu’à 690 détenus. Il comprend quatre bâtiments de détention : trois maisons d’arrêt pour les condamnés, les prévenus et les femmes, et un centre de détention.
Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), l’administration pénitentiaire et la Ville de Nancy ont signé une convention en septembre 2007 afin de formaliser le partenariat avec la Médiathèque de Nancy en prévision du déménagement dans les nouveaux locaux.

Le contexte

Il fallait passer d’une bibliothèque centrale qui desservait 350 détenus à une structure complètement différente puisque dans le nouveau centre, pour des raisons de sécurité qui visent à limiter la circulation des détenus, chaque bâtiment possède sa bibliothèque. Si l’on peut comprendre les contraintes sécuritaires, il a été plus difficile d’accepter le faible nombre de mètres carrés alloués à chacune de ces mini-bibliothèques sans cohérence avec la population à desservir. En effet, la plus petite bibliothèque, celle de la maison d’arrêt des condamnés, mesure 25 m² et dessert 210 détenus alors que la plus grande, celle des femmes, mesure 34m² pour 30 détenues. N’ayant pas été associés à la réflexion architecturale nous avons dû accepter ces contraintes.
À ces quatre bibliothèques s’ajoutent deux lieux de stockage de 18 m² et 6 m² situés dans un cinquième bâtiment dédié à l’enseignement, aux activités socio-culturelles, sportives et religieuses. Dans ce même bâtiment se trouve un centre de documentation géré par l’Unité locale d’enseignement administrée par l’Éducation nationale.
Enfin les quartiers Arrivants (QA), Isolement (QI), Disciplinaire (QD) et les Unités de vie familiale (UVF), qui ne possèdent pas d’espace dédié à la lecture, devaient être associés à notre projet afin que l’accès à la lecture soit assuré dans tous les espaces de la détention.

Un réseau informatique s’imposait

Devant un tel éparpillement des espaces de lecture et des stocks il a semblé évident à tous qu’un réseau informatique s’imposait. Notons – c’est important – que la mise en place de ce réseau n’aurait pu avoir lieu sans la volonté et la détermination de la direction de l’établissement, du Spip, de la Médiathèque et l’investissement précieux de l’équipe informatique du Centre pénitentiaire.
Des prises ont été installées dans chacune des bibliothèques afin de créer un réseau indépendant et parallèle à celui du ministère de la Justice.
Une réflexion a d’abord été menée entre la direction de l’établissement, la Médiathèque de Nancy et le Spip sur les problèmes liés à l’installation d’un SIGB en détention. Différents progiciels correspondant à la taille du réseau ont été étudiés. Nos exigences en tant que bibliothécaires n’étaient pas très importantes. Nous voulions un progiciel très simple d’utilisation car ce sont essentiellement les détenus bibliothécaires qui utilisent le SIGB pour les transactions quotidiennes de prêt. Et comme dans toutes les bibliothèques de prison, nous sommes confrontés à la succession permanente des détenus bibliothécaires qui sont transférés, libérés, déclassés… Donc nous voulions un système paramétrable à différents niveaux, voire simplifiable, dont les modules les plus importants seraient la circulation, l’Opac et le catalogage. Les logiciels libres étant de plus en plus utilisés dans l’administration pénitentiaire, la direction nous a incités à privilégier une solution de ce type.
Enfin deux points essentiels ont fait l’objet d’une réflexion approfondie : la maintenance et la confidentialité des fichiers usagers.
Pour ce qui concerne la maintenance, outre l’installation du progiciel, il fallait penser à son entretien et à la résolution d’éventuels problèmes techniques ou logiciels. La télémaintenance de plus en plus pratiquée en milieu ouvert est inenvisageable en détention. Les seuls accès Internet pour le personnel sont ultra-sécurisés. Nous avons donc demandé un contrat de maintenance adapté à ce cas particulier en négociant des résolutions de problèmes simples par échange de mails et une intervention sur site une fois pas an.
Le deuxième point épineux était celui de la confidentialité des fichiers usagers. Nous voulions un réseau pour partager les informations liées aux documents certes, mais nous ne voulions pas que ce réseau s’étende aux fichiers des usagers. Par exemple, le détenu bibliothécaire de la maison d’arrêt des condamnés ne doit pas connaître les noms des détenues de la maison d’arrêt des femmes. Il nous fallait donc un progiciel fonctionnant par unités indépendantes.
C’est cette préférence système « independantbranches » développée sur le progiciel libre Koha qui a déterminé notre choix. Ce système permet d’établir un catalogue commun tout en gardant une gestion propre à chaque bibliothèque. Le détenu bibliothécaire peut ainsi faire des prêts/retours et consulter les comptes des lecteurs uniquement rattachés à sa bibliothèque. Ce choix et nos réflexions sont remontés au niveau interrégional des services pénitentiaires pour aboutir à un document de 12 pages sur l’analyse de risque relative à l’installation d’un SIGB en établissements pénitentiaires. Les conclusions de ce rapport ont montré que la mise en œuvre d’un SIGB a peu d’impact sur le niveau de sécurité des établissements pénitentiaires. Celui-ci est confiné à sa seule fonction de bibliothèque et les informations traitées sont peu sensibles. Une fois cette autorisation donnée, l’installation s’est faite sur un serveur et un système d’exploitation fonctionnant sous Debian/Linux. Les postes clients sont protégés par Winprotect. Ils ne donnent accès qu’à Koha (interface professionnelle et Opac) et s’ouvrent donc directement sur la page d’accueil.
Les journées de formation ont permis d’affiner les paramétrages du système et de définir les permissions de chacun. Les détenus bibliothécaires ont accès au module de circulation, de recherche et, durant le travail d’informatisation de la base, au module de catalogage. Les administrateurs (agents Spip, bibliothécaires) ont accès à toutes les autres fonctionnalités du progiciel. Les informaticiens, quant à eux, ont accès à tout et se chargent des sauvegardes et des interventions sur le serveur.
L’informatisation des fonds s’est effectuée avec l’aide des détenus bibliothécaires en place sur une grille simplifiée de catalogage pour toutes les notices qui n’avaient pas pu être récupérées sur Moccam .

Un métier adapté

Nous avons essayé de faciliter au maximum le travail du détenu bibliothécaire. En effet les mouvements sont nombreux dans un tel établissement. Un détenu passe d’abord par le quartier arrivants avant d’être affecté à un bâtiment. Mais il peut aussi passer du bâtiment des prévenus à celui des condamnés, ou encore faire un séjour au quartier disciplinaire ou d’isolement. En raison de ces difficultés de suivi, nous ne voulions pas laisser au détenu bibliothécaire la responsabilité d’inscrire les usagers de sa bibliothèque. Des mises à jour sont donc faites manuellement chaque semaine par les informaticiens entre le logiciel Gide par une édition spécifique extraite et retravaillée des données (nom, prénom, numéro d’écrou, bâtiment) avant d’être importée dans Koha. Le numéro d’écrou, un numéro unique donné au détenu lors de son incarcération, sert de numéro d’usager. Pour des questions d’anonymat, les noms et prénoms des détenus ont été mis dans le champ « adresse » afin d’éviter de les retrouver dans les historiques des prêts et dans le fil des réservations.
Enfin, comme aucun SIGB n’a été pensé pour fonctionner en détention, il a fallu tester tous les aspects du système pour y détecter la moindre possibilité de communication entre les détenus. Ce réseau ne devait en aucun cas servir de boîte mail entre les détenus bibliothécaires. Le Web 2.0 est encore loin de faire son entrée en prison…
Un poste a été installé dans chacune des quatre bibliothèques. Un cinquième poste est également disponible dans le stock. Il sert à exemplariser les documents quand ils arrivent avant de les affecter à l’une ou l’autre des bibliothèques. Il sert également aux administrateurs pour le suivi des statistiques.
Chaque bibliothèque est installée selon un plan de classement similaire et un système de cotes simplifiées et validées (pour les documentaires : Dewey à 3 chiffres). Après trois mois de travail, les 9000 documents des quatre bibliothèques sont informatisés.
Des dépôts de documents sont régulièrement faits dans les quartiers non reliés au réseau (QA, QD, QI, UVF). Il nous reste à informatiser les documents du CDI afin que tous les lieux d’accès aux livres soient intégrés à notre réseau.
Les détenus bibliothécaires peuvent voir les documents possédés par les autres bibliothèques. Ils les demandent (grâce à un système de listes) et les documents peuvent alors circuler d’un bâtiment à l’autre. Si les bibliothèques du centre pénitentiaire ne possèdent pas un document demandé, la Médiathèque de Nancy prend le relais en mettant temporairement l’ensemble de ses collections à la disposition des détenus.

Problèmes subsistants

Des problèmes subsistent en effet : l’Ifla préconise un bibliothécaire à temps plein pour 500 détenus. Nous sommes ici dans une configuration de 690 détenus avec :
– un emploi Cui recruté par l’intermédiaire de l’association Dédale ;
– un agent de la Médiathèque de Nancy qui passe généralement une journée par semaine en détention plus un temps difficilement quantifiable à la préparation des commandes ou demandes de subventions CNL (travail réalisé principalement à la médiathèque afin de bénéficier de la base de données Électre) ;
– 2 agents Spip qui consacrent environ 10% de leur temps à l’action culturelle et aux bibliothèques.
Les préconisations de l’Ifla ne tenaient sans doute pas compte de cet éparpillement des bibliothèques propre aux nouvelles constructions et du temps perdu entre les nombreuses portes pour se rendre de l’une à l’autre. Et malgré nos efforts pour simplifier au maximum le travail (récupération des notices, cotes validées, grille de catalogage simplifiée) le temps est encore très court pour accomplir les tâches de base indispensables au bon fonctionnement du réseau.
Comme dans toutes les prisons le taux de fréquentation des bibliothèques est plus important qu’à l’extérieur (46% d’inscrits actifs selon nos premières statistiques). L’organisation du prêt y est cependant extrêmement compliquée : beaucoup de livres disparaissent, sont dégradés ou volés. La traçabilité des documents est particulièrement difficile. L’installation du SIGB nous aide techniquement. Il rend la politique d’acquisition cohérente et il augmente les ressources disponibles en donnant à voir l’ensemble des collections du centre pénitentiaire.

Des pistes pour une meilleure intégration des bibliothèques en détention

En détention les problèmes à régler au quotidien sont multiples. L’organisation d’une structure aussi grande est complexe. Au bout d’un peu plus d’un an de fonctionnement les rouages ne sont pas encore parfaitement huilés. Nous avons cependant déjà pu tirer quelques conclusions de notre expérience.
Tous les corps de métier intervenant en détention doivent être sensibilisés à l’importance de la bibliothèque. Les surveillants, par exemple, jouent un rôle important pour l’accès aux livres en organisant les déplacements des détenus. Ils sont aussi extrêmement précieux pour retrouver les documents égarés lors d’un changement de cellule, de bâtiment ou d’une sortie. Nous essayons également d’associer les intervenants (professeurs, animateurs sportifs ou culturels, génépistes …) en leur proposant des achats de documents dans le prolongement des activités organisées en détention. Tout cela afin d’essayer sans cesse de relier ces bibliothèques à la vie qui les entoure.
Ce travail de connaissance du milieu dans lequel on intervient est long et nécessite du temps. Il est cependant indispensable pour adapter au mieux la politique d’acquisition aux besoins des détenus.
La formation et la motivation du détenu bibliothécaire sont aussi fondamentales. Dans la mesure du possible nous essayons d’être associés au choix des détenus pressentis pour devenir détenus bibliothécaires. Nous avons bien conscience que nos exigences à nous (intérêt pour la littérature et capacité à le transmettre aux autres, organisation, méticulosité, familiarité avec l’outil informatique…) ne sont pas les seules qualités requises pour faire un détenu compétent dans sa bibliothèque. Le chef de bâtiment, de son côté, voit plutôt le « profil criminel » et la capacité à se faire respecter dans ce lieu confiné où les détenus viennent et se retrouvent enfermés pendant une heure. La mission du détenu bibliothécaire est délicate et les chiffres de fréquentation de sa bibliothèque sont intimement liés à sa capacité à gérer, à motiver et à orienter un public souvent difficile. Après 15 mois de fonctionnement, il reste énormément à faire pour une population en manque chronique d’activités.
En 2011 nous souhaitons introduire de nouveaux supports (DVD, CD, livres audio, jeux vidéo) après l’étude des résultats d’une enquête réalisée auprès des détenus sur leurs souhaits et leur taux d’équipement dans les cellules en matière de lecteurs DVD, CD, X box, PS2.
Nous voulons également faire vivre ces bibliothèques au-delà de leur fonctionnement de base en proposant des clubs de lecture, débats autour des livres, lectures à voix haute et essayer ainsi de créer une dynamique de lecture afin que les bibliothèques ne soient pas qu’un espace de rencontre pour les détenus.
Beaucoup d’articles ont déjà été écrits sur la lecture en prison. Ils relatent souvent des expériences riches pour ceux qui les partagent et qui nous motivent à croire que la littérature participe à la réinsertion. Pour conclure en s’inspirant de ce qui se passe à l’étranger, nous citerons simplement les article parus dans le Nouvel Observateur (11 juin 2009), « Grâce à Steinbeck les taulards s’évadent », qui raconte un programme de réinsertion des repris de justice qui fait ses preuves aux États-Unis grâce à de simples romans, Et celui de Courrier International (1er août 2009) « Pire que la prison, la lecture » qui décrit les condamnations pittoresques de certains juges turcs qui forcent les délinquants à lire des livres sous contrôle judiciaire et qui offrent des cartes d’abonnés à la bibliothèque municipale aux détenus libérés.
Ces exemples montrent combien il est important que les différents corps de métier communiquent, se comprennent, s’associent et innovent pour développer des projets en commun.

Marie-Odile Fiorletta

 

Sigles et lexique

• Centre de détention : pour les condamnés à une peine d’un an et plus.
• Maison d’arrêt Condamnés : pour les condamnés à une peine de moins d’un an.
• Maison d’arrêt Prévenus : pour les personnes en attente de jugement.
• QA (Quartier arrivants) : espace réservé aux nouveaux détenus ou aux détenus transférés d’une prison à l’autre. Le temps passé au quartier arrivants est de 10 jours environ avant d’être affecté à l’un ou l’autre des bâtiments.
• QI (Quartier isolement) : séparation d’un détenu du reste de la population pénale. L’isolement est décidé par le chef d’établissement par mesure de précaution, de sécurité, ou à la demande du détenu.
• QD (Quartier disciplinaire) : quartier réservé à l’exécution de la punition de cellule ; le détenu doit y rester seul pendant la durée fixée par la commission de discipline, durée qui est au maximum de 30 jours.
• UVF (Unité de Vie Familiale) : petits appartements dans lesquels les détenus du centre de détention peuvent recevoir et cohabiter avec leur famille pour une durée de 6 à 72 heures. Le centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville en compte trois.

• Détenu bibliothécaire : détenu rémunéré pour son travail dans la bibliothèque de son quartier. À Nancy il y a quatre détenus bibliothécaires qui assurent le fonctionnement des bibliothèques au quotidien (prêt, renseignements, équipement des documents, catalogage au moment de l’informatisation…).
• Spip : Service pénitentiaire d’insertion et de probation. Ses missions principales sont l’aménagement des peines et la préparation à la sortie. Les Spip sont également responsables de l’action culturelle et du développement de la lecture en détention.
• Ule : Unité Locale d’Enseignement : Grâce à un partenariat entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la Justice des enseignants sont détachés pour donner des cours en détention.

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